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POURQUOI APPRENDRAIT-ON À ÉCOUTER ?


Des mots sans importance ?
Les mots, nous voudrions faire comme s’ils étaient sans importance. Ainsi nous ne donnons pas toujours beaucoup de sens aux mots des autres ni à nos propres mots, nous ne les écoutons pas, pas plus que nous ne nous écoutons nous-même. Nous parlons à tort et à travers, souvent sans y penser. Nous parlons de la pluie et du beau temps, du voisin qui a dit ceci, qui a fait cela, du monde qui va ou qui ne va pas, des petits soucis et des petites joies quotidiens. Nous faisons comme si les mots n’avaient pas de poids, nous en usons, nous en abusons, ils nous bercent.
Pourtant nous savons bien que les mots ont du sens car si d’aventure on nous écoute et on nous « prend au mot », nous protestons vivement : « ce n’est pas ce que nous voulions dire » et nous tentons de nous échapper de ce que nous avons dit en utilisant d’autres mots. Mais si les mots n’avaient pas tant de poids celui que nous avons utilisé ou un autre, cela n’aurait pas d’importance.
Les mots ont du poids et nous le savons bien car nous avons appris depuis notre enfance, par la socialisation, qu’il y a des mots qu’il vaut mieux ne pas dire, des sujets à éviter, des questions qu’il ne faut pas poser. Nous savons qu’il y a des mots qui peuvent déclencher le conflit, la gène, le malentendu, la colère, la haine et les mots finissent par nous faire peur. Alors, à force de détourner par notre conversation, ces sujets délicats nous avons fini par éviter tout ce qui pourrait gêner ou fâcher. Nous ne parlons plus de rien, il sort par notre bouche des sons qui ont pour fonction de rassurer.

Se réconcilier avec l’inquiétude de parler
La parole a tout à la fois le pouvoir de voiler et de montrer : en même temps que nous cachons, nous montrons que nous cachons. Si nous parlons pour nous rassurer c’est que nous sommes inquiets. Inquiets de ce qu’on pourrait penser, inquiets d’être mal compris, de ne pas être aimés, inquiets des conflits qui pourraient émerger. Derrière les mots creux sonne l’inquiétude et nous ne sommes pas dupes, pas plus que ceux qui nous écoutent. Le bavard parle, parle sans s’arrêter, le docte fait la leçon, un autre raconte des blagues, il divertit l’assemblée, un autre flatte, tandis que d’autres encore se taisent et n’en pensent pas moins, parfois d’ailleurs ils confient une idée importante à leur voisin complice, mais ils n’osent pas la porter devant l’assemblée. Certains encore se confondent en justifications et tombent dans une confusion où tout le monde se perd.
La pratique philosophique nous apprend à nous réconcilier avec cette inquiétude de la parole en cessant de la masquer. Plutôt que de chercher à dissimuler l’inquiétude en la redoublant par une inquiétude de l’inquiétude, comme on le fait par exemple lorsque l’on proclame « je ne vous juge pas mais… », mieux vaut l’assumer. Assumer c’est-à-dire porter note parole avec le plus d’authenticité et de vérité possible en prenant le risque d’être jugé, mal compris, mal aimé, de susciter un conflit, porter notre parole simplement, sans avoir besoin d’en rajouter. Mais assumer n’est pas spontané et s’acquiert par une pratique, un travail sur soi.

Nous n’avons pas idée qu’écouter s’apprend
A l’heure d’internet et des réseaux sociaux, si nous pensons savoir « échanger » nous n’avons pas appris à écouter et à parler.
L’éducation et l’école ne nous donnent-elles pas l’occasion de le faire ?
Certes on peut penser que l’école nous apprend à écouter la parole du maître supposé savoir. En tant que professeur, je suis bien placée pour réaliser que cette écoute est la plupart du temps un jeu de pouvoir et un jeu de dupe. Un bon orateur est censé « captiver » son public, qu’il séduit par toutes sortes de trucs. Mais les élèves d’une école, d’un collège ou d’un lycée, public contraint, ne viennent pas en cours comme une personne se rend à une conférence, ils ne se laissent pas facilement séduire. Ils ne voient pas pourquoi ils écouteraient un discours qu’ils n’ont pas choisi d’écouter et ils savent d’ailleurs qu’en manifestant leur ennui, ils déstabilisent le professeur censé les intéresser. Comme si l’intérêt que l’on porte à un discours ne dépendait nullement de notre attitude mais d’une qualité intrinsèque à ce discours.
Dans une classe, les élèves écoutent rarement, les plus sérieux font parfois semblant de le faire en prenant des notes, la plupart d’entre eux bavardent ou se taisent pour éviter les ennuis et rêvent à autre chose. Plus tard dans une assemblée, une réunion d’adultes, c’est la même chose. Nous n’écoutons pas car nous n’avons jamais appris à écouter et nous n’avons même pas idée que cela pourrait s’apprendre.
Alors, tantôt nous sommes captivés par la parole d’un maître charismatique, tantôt nous nous refusons ostensiblement à lui accorder ce pouvoir, tantôt, lorsqu’il n’y a plus de maître reconnu, nous nous laissons aller à la libre expression de nos envies, de nos opinions et de tout ce qui nous passe par la tête, tout cela dans un brouhaha informe mais qui nous rassure et nous soulage.

L’écoute produit de belles pensées.
Dans un atelier de pratique philosophique chaque participant apprend à écouter les autres comme il apprend à s’écouter lui-même. Comme dans tout apprentissage cela suppose exercices, erreurs progressivement rectifiées, développement d’un savoir faire et patience.
Ici ce n’est pas la parole du maître qu’on écoute parce qu’elle nous fascine mais chacun apprend à porter de l’intérêt à la parole de chacun même si a priori cette parole n’a rien de « captivant ». Et il ne s’agit pas d’une écoute complaisante où l’on s’extasie devant tout ce qui est dit. Non, l’objectif de cette écoute n’est pas de valoriser la personne mais de porter attention à la pensée qui se forme à travers elle.
On n’écoute pas l’autre pour lui répondre mais pour le comprendre, ce qui suppose d’être tourné vers lui, attentif à ce qu’il dit et non tourné vers soi, attentif à ce qu’on veut dire. Généralement nous n’avons pas la patience d’écouter l’autre car nous sommes bien trop (pré)occupés à confirmer ce que nous pensons déjà, plutôt qu’à nous en détacher pour penser autrement.
Dans un atelier de pratique philosophique, chacun est donc souvent conduit à formuler et reformuler ce qu’il pense afin que cela soit clair et compréhensible pour les autres. S’il est captif de son opinion, de ses affects, s’il est inattentif, confus, pédant, hésitant, il en prend conscience grâce à l’écoute attentive et exigeante des autres. Il est alors en mesure de remédier à ses difficultés. Une telle démarche bouscule nos habitudes car nous n’aimons pas les erreurs et les faux pas, nous voulons généralement de belles idées, des pensées et des recettes toutes faites. Nous voulons le résultat sans penser que c’est la démarche qui est intéressante.
Dans un atelier de pratique philo, les idées, belles même si elles sont parfois modestes, sont construites ensemble et chacun soutenu par les autres met la main à la pâte.
Paradoxalement c’est alors en oubliant son « petit soi » traversé de doutes et d’inquiétudes, parce qu’il se concentre sur l’exercice exigeant de la pensée, que chacun devient lui-même. Un « soi » capable d’assumer ce qu’il dit, de porter à l’examen du groupe ses hypothèses, conscient des présupposés qu’elles contiennent et des problèmes que cela soulève. Un soi prêt à accueillir les critiques et les pensées différentes, en chemin vers une vérité toujours en construction.
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