ATELIER EN PRISON, TERMINÉ ?
Les ateliers de philosophie que je mène en prison depuis 7 ans à raison de 3h par semaine, vont être supprimés. Cette décision m'a été annoncée dernièrement. Elle est prise pour des raisons budgétaires et la philosophie n'est pas considérée comme prioritaire dans les enseignements.
J'ai témoigné sur ce blog des ateliers que j'animais dans ce lieu (j'ai d'ailleurs réuni une trentaine de pages que je vais développer pour en faire un livre).
Bien sûr, je ne compte pas en rester là.
Je vais prochainement rencontrer des journalistes, peut-être lancer une pétition et je suis preneuse de toute idée de votre part qui pourrait contribuer à faire bouger les choses, à proposer non pas moins de philo en prison mais beaucoup plus !
Ci-dessous
- un extrait de ma lettre au proviseur qui a décidé de cette suppression.
- un texte dans lequel j'ai imaginé son geste à défaut d'avoir pu échanger avec lui de vive voix.
- un texte plus général sur le rapport au diplôme et au savoir dans notre société.
Extrait de la lettre au proviseur :
"La société n'est-elle pas concernée par une telle suppression d'ateliers de philosophie en prison ? En effet, un détenu qui sort de prison qui a appris à dire son désaccord tout en étant à l'écoute et sans basculer dans la violence, qui est capable de changer de point de vue, de se remettre en question, qui est en mesure de réfléchir, qui ne se soumet pas à ses émotions, devient une personne capable d'apporter à tous ce savoir être.
Un diplôme de mécanicien, de vendeur, ou d'électricien sera insuffisant à développer chez lui ces compétences.
Au-delà de ces arguments, je me permets de vous dire que les détenus n'ont pas compris le désintérêt qui leur a été manifesté le jour où vous êtes venus dans la salle accompagné d'une inspectrice. À peine ouverte, la porte a été refermée. Aucune question ne leur a été posée, aucun intérêt manifeste pour l'activité qu'ils mènent, pour la méthode avec laquelle nous dialoguons. Aucun dialogue justement ne s'est établi entre les participants à cet atelier et les représentants de l'institution, ce qui me semble le signe d'un dysfonctionnement.
J'aurais donc travaillé 7 ans à la maison d'arrêt et je suis congédiée sans même que l'institution se soit intéressée au travail accompli. Si vous trouvez aussi qu'il y a là une forme de malentendu, il me semble qu'il pourrait être intéressant de venir participer à un atelier philo à la maison d'arrêt, vous auriez ainsi une idée précise du terrain et les détenus sauraient qu'on ne se contente pas de leur donner quelque chose puis de leur retirer sans autre considération."
UNE DÉCISION...

" Assis dans son bureau, d’un clic de la souris de son ordinateur, il supprime une colonne. Un petit geste et c’est la fin de sept années d’ateliers philo dans la maison d’arrêt où il a nouvellement été chargé de la direction des études.
Un petit geste, une petite décision, cela lui paraît sans conséquence. Pourtant au bout de cet infime mouvement, il y a des êtres humains. Des êtres qui ont pris goût à la réflexion.
En général, les détenus de prison ont un niveau d’études peu élevé. Ils étaient d’autant plus fiers que l’institution les trouve capables de penser. Ils se disaient : « peut-être que la société croit quand même un peu en nous, elle nous donne la chance que nous n'avions pas eue. Nous ne sommes pas juste bons à mettre au rebut, nous sommes récupérables ». Récupérables, combien de fois l’ont-ils prouvé lors de ces ateliers philosophiques, apportant leurs idées qui me donnaient à moi aussi cette joie que procure la pensée (dans un long texte j’ai consigné certaines des idées belles et sensibles qui ont émergé lors de ces 7 années de dialogue en prison).
Mais ce n’était pas seulement un souci de reconnaissance sociale qui les animait. Ils faisaient aussi l’expérience que penser par soi-même donne une solidité intérieure. On apprend à ne pas se laisser emporter par n’importe quoi, on ne se soumet plus à la première influence ou la première émotion qui nous traverse. En philosophant, on apprend à détecter les idées qui ne tiennent pas la route, qui ne sont pas fondées, qui servent juste à gonfler un ego malade. On sait flairer ce qui est creux et fumeux, on ne se laisse pas berner, pas impressionner.
La société a-t-elle besoin de la puissance intérieure des membres qui la compose ou doit-elle s’en méfier ?
En philosophant, on apprend à penser plus loin que la première opinion qui nous passe par la tête, en commençant par écouter ce que les autres pensent et à questionner. On apprend à faire un peu le vide en soi pour accueillir une pensée nouvelle.
Un jour du mois d’avril, l’homme qui a décidé d’un clic du sort de la philo, a ouvert la porte de la petite salle d’études où nous philosophions. Ce jour-là nous questionnions un passage du "Gorgias". Sans poser de question, il a refermé la porte. Probablement a-t-il pensé : « Platon en prison, ça ne sert à rien».
D’un clic de sa souris, il a supprimé la colonne "ateliers philo". Sait-il seulement que la philosophie c’est bien plus qu’une discipline pour le Bac ? Sait-il qu'elle se développe aussi au collège, en primaire, et dans toutes sortes de lieux. Sait-il que la philosophie est une pratique de soi accompagnée d’un intérêt aiguisé pour le monde, pour les autres ?
Il ne nous a pas adressé la parole, ni à moi, ni aux détenus, pas une explication, pas une question. D’un clic de souris, il a supprimé la colonne philo de son tableau Excel et empêché des intelligences qui ne demandaient qu’à se déployer. D’un clic, il a ajouté des barreaux au barreaux."
LA PHILO INUTILE EN PRISON OU L’ÉDUCATION NATIONALE MALADE DE SES DIPLÔMES.
Un symptôme : on supprime des ateliers philo en prison ainsi que des ateliers d’écriture car ces activités ne conduisent pas à passer des diplômes. À quoi servirait-il donc d’apprendre, de lire, d’écrire de se questionner s’il n’y a pas de diplôme au bout du chemin ? se disent les décideurs et représentants de l’éducation nationale.
Cette logique en dit long, très long sur notre éducation et sur le rapport au savoir qu’elle véhicule. On étudierait donc dans le but d’obtenir des diplômes sans voir que l’étude comporte des aspects bien plus importants.
Certes, le diplôme valide des compétences. Il indique qu’un individu répond à un certain nombre d’attentes. Il fournit une certification souvent vécue comme une gratification et il peut ouvrir la porte à l’exercice d’un métier ou d’une activité.
Jusqu’ici pas de problème.
Mais lorsqu’une société attribue un rôle excessif aux diplômes cela devient dangereux et destructeur à la fois pour les individus qui la composent et pour l’intelligence collective.
Lorsqu’on attribue trop d’importance aux diplômes, on se met à étudier dans le seul but d’obtenir la gratification et cela au détriment de la pratique. L’exercice procure en lui-même un plaisir. Petit à petit une force intérieure construit celui qui s’adonne activement à l’étude. La pratique et non le diplôme contribue à construire l’individu, entraine l’augmentation de sa puissance d’exister dirait Spinoza.
Mais lorsque seul le résultat compte, lorsque ce n’est que cela qu’on regarde qu’on valorise, certains n’hésitent pas à tricher (avec Chatgpt le phénomène ne cesse de s’amplifier et je lis régulièrement le désespoir de mes collègues professeurs de philosophie qui n’en peuvent plus de corriger le robot au lieu de lire leurs élèves). Ce goût exacerbé pour le but et non pour le chemin est d’ailleurs une des raisons qui m’ont fait quitter l’éducation nationale.
Lorsque des élèves en viennent à tricher au lieu de chercher par eux-mêmes des idées, c’est que l’institution a été incapable de leur faire comprendre et ressentir que l’exercice de la réflexion produit un plaisir et que laisser un robot penser à notre place est parfaitement absurde. C’est à peu près comme si on demandait au robot de déguster à notre place un bon plat ou d’éprouver à notre place le plaisir de marcher en montagne. Lui demander de penser à notre place aussi insensé que de lui demander de vivre et grandir à notre place !
Par ailleurs l’obsession du diplôme introduit de la compétition, certains réussissent, d’autres non. On finit par croire que la réussite dans un domaine donne un supplément d’être. Erreur qui entraîne jalousies, ressentiments, complexes de supériorité ou d’infériorité. Certains diplômés se targuent d’une légitimité dans leur domaine pour devenir des petits chefs tandis que d'autres, ceux qui ont raté se pensent incapables.
Tout cela au détriment de l’intelligence générale car les obsédés du diplôme se sont construits dans l’extériorité des attentes auxquelles ils ont su se conformer au détriment du développement de leur intériorité et de leur individualité. Ils deviennent incapables d’attention pour tout ce qui ne rentre pas dans les clous et qui pourrait pourtant apporter de la créativité et de l’inventivité bénéfique à tous.
Des diplômes il en faut, mais sachons regarder aussi autre chose.
Les ateliers de philosophie et les ateliers d’écriture n’aboutiront pas à un diplôme
pour Ahmed qui a 62 ans qui participe et s’épanouit en apprenant à formuler clairement ses idées, à écouter tranquillement une personne qui n’est pas d’accord avec lui sans chercher immédiatement à se défendre ou à attaquer.
pour Marc qui a beaucoup de difficultés à s’exprimer mais qui apprend petit à petit à moins craindre le jugement des autres, qui ose enfin dire ce qu’il pense même s’il manque parfois de mots et puis maintenant il ose dire aussi quand il ne comprend pas, ou qu’il ne sait pas. L’aveu de son ignorance fait généralement avancer tout le groupe.
pour Loïc, habité par une colère, il s’emportait à tout bout de champ, mais il a appris à se regarder et à prendre de la distance avec ce comportement. Un beau jour une autre facette de lui-même est apparue et nous avons vu un homme posé, réfléchi, constructif et ce jour-là en le voyant faire, tout le groupe a ressenti de la joie.