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Les jeunes filles et la haine du corps


Atelier philo avec des collégiens.

Louane, une grande belle jeune fille, longs cheveux de jais flottant sur ses épaules vient s’asseoir à ma droite. Quand elle s’assied, j’entends Antonin murmurer, « trop moche ta robe! ».

Louane, rabat nerveusement un pan de sa robe sur son genou. Ce genre de remarque n’a pas l’air de la replier sur elle-même, elle manifeste plutôt de l’agressivité et cela même quand je m’adresse à elle.

Le professeur m’a demandé de réfléchir avec les jeunes sur les valeurs qui nous animent, la liberté, la vérité, l’égalité, la fraternité. Je questionne, parmi ces valeurs, lesquelles sont importantes pour vous ? Pourquoi ? Ces valeurs peuvent-elles se contredire entre elles ?

Au bout d’un moment, je fais remarquer à Chloé qu’elle n’a toujours pas proposé d’idée. Quand je lui pose une question, elle me répond « ça dépend » en haussant les épaules. Je lui demande si ce haussement d’épaules indique qu’elle voudrait juste que je la laisse tranquille. Ai-je bien compris son message ? Oui, c’est ça. Elle m’aime pas parler devant les autres élèves de la classe. Pourquoi ? Elle ne sait pas.

Pour l’aider à mieux comprendre ce qui se passe en elle, je pose une question plus détachée.

- Pourquoi en général n’ose-t-on pas parler en public ?

- Parce que lorsqu’on parle en public on a peur d’être mal jugé.

- Et toi, avant même de parler tu penses qu’on va mal te juger ! On voit que tu vis dans un monde fraternel !

- Oui, on va me juger à cause de mon physique.

Le physique de Chloé, n’a rien de particulier si l’on se réfère aux critères en vigueur, elle est mince, de taille moyenne, cheveux châtains. Elle dit qu’elle n’aime pas son nez.

- Donc ne pas aimer ton nez, qu’on ne voit d'ailleurs pas sous ton masque, t’empêche de parler et de proposer tes idées. C’est bien ça ?

Chloé rit quand j’établis cette déduction logique.

Je demande aux élèves du groupe : qui d’autre n’aime pas son physique ? Toutes les jeunes filles lèvent la main.

Je comprends alors pourquoi il est si difficile pour certaines de penser librement, d’oser se lancer, de proposer de modestes hypothèses et d’éprouver le plaisir de questionner.

Je comprends pourquoi certaines jeunes filles deviennent même agressives quand on leur adresse la parole. Au lieu de proposer leurs hypothèses, elles pensent à ce qu’on va penser d’elles, elles pensent qu’on en pensera du mal et cette pensée les paralyse.

Je me souviens de ma propre adolescence, même si j’adorais lire, j’étais moi aussi préoccupée par mon physique, trop petite, pas assez mince. J’ai par la suite rencontré des femmes obsédées par leur régime, par ce qu’elles pouvaient ingurgiter ou ne pas ingurgiter. Dans cette logique on considère que perdre des kilos est une victoire, comme si c’était cela l’important dans l’existence ! « Dans ma vie, j’ai réussi à perdre 6 kilos », voilà un bel exploit à se remémorer au moment du bilan final ! Et puis vivement le trou, car ce sera la victoire, six pieds sous terre on perdra tout le gras !

Même chez des intellectuelles on voit cette obsession de la belle apparence, cette difficulté à accepter son corps comme il est. Montrer, toujours montrer (et surtout cacher ce qui dérange) : « regardez je suis une personne jolie, sportive, svelte et avec cela généreuse et intelligente, enfin je voudrais tant l’être pour être digne de votre amour ».

Mais lorsque nous sommes préoccupés avant tout par donner belle apparence, nous ne sommes pas libres pour penser et nous ne pouvons pas nous intéresser aux autres que nous utilisons comme de simples spectateurs.

Et si on s’occupait plutôt du plaisir de réfléchir et des plaisirs que nous procure notre corps. On pourrait apprendre aux jeunes filles à aimer un peu plus cette embarcation charnelle qui leur a été donnée pour traverser l’existence. Ce corps grand ou petit, blanc ou bronzé, fin ou grassouillet, procure la joie de sentir la fraicheur du vent, le parfum des lilas en fleurs, le murmure de la rivière, le goût d’un mets délicieux, la tendresse et les caresses.

Cela signifie-t-il que l’apparence physique n’a pas d’importance ?

Non, car c’est une joie de contempler la beauté d’un corps comme on regarde la douceur d’un rivage, la vigueur d’un arbre, la fraicheur d’une fleur, la délicatesse d’un brin d’herbe ou l’éclat de la neige sur la montagne. On peut prendre plaisir à cette beauté, sans se comparer, sans la jalouser, sans vouloir la posséder, sans la ramener à soi. Mais qui nous apprend à goûter ces plaisirs simples ?

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