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ENGAGEMENT, DOUTE ET INCERTITUDE.

L’engagement n’exclut pas l’incertitude et la remise en question, au contraire.

Si l’on attend la certitude pour agir et s’engager, on risque de ne jamais agir. Ou pire, il arrive que par terreur de l’incertitude et de la remise en question, on finisse par se persuader que la cause que l’on défend est la meilleure, qu’elle est certaine et absolue, qu’il n’y en a pas d’autres possibles. C’est alors la porte ouverte à toutes les violences et tous les fanatismes et aujourd’hui comme dans toute l’histoire humaine, on en trouve de tous bords.

Dès que l’être humain croit quelque idée vraie, il a tendance à en faire une idole à laquelle il s’accroche comme à une bouée de sauvetage ; si on touche à cette bouée qui est devenue sa raison de vivre, il devient furieux, il mord, il agresse, il est prêt à tuer parfois.

C’est pourquoi il me semble important d’être en mesure de toujours douter de la voie qu’on emprunte, de l’aimer et de la porter sans pour autant s’y accrocher, de l’aimer d’un amour toujours capable de se renouveler par un doute actif.

Ce qui ne fait pas tomber dans le relativisme où tout se vaut pour autant.

Le doute actif nous fera peut-être changer de voie parce qu’on en trouvera une meilleure. Le doute actif au contraire nous permettra peut-être de renforcer notre choix parce qu’après réflexion, il nous semblera le meilleur possible mais jusqu’à preuve du contraire.

Mieux vaut rester conscient de ce « jusqu’à preuve du contraire » qui rend plus tolérant, plus modeste qui demande plus de courage aussi, car si la cause que nous défendons n’a rien d’absolu, nous l’aimons tout de même et l’amour fragile comporte toujours un risque, il fait trembler, il nous engage, il faut supporter l'incertitude.

2

Il avait 17 ans. Avec ses copains, ils pensaient que quelque chose ne tournait pas rond, que la situation n’était pas acceptable. Ils voulaient faire quelque chose. F habitait de l’autre côté de la frontière, chef d’un réseau, il leur donna l’occasion de concrétiser leur révolte. F était un homme plus âgé en qui ils faisaient confiance, un homme solide, franc, doux, déterminé, un champion à la lutte.

Alors ils connurent l’aventure et son excitation, les passages la nuit dans la forêt escarpée, les patrouilles qu’il fallait éviter en se cachant dans les fourrés. Une nuit les balles sifflèrent tout près. Combien de fois passèrent-ils la frontière ? Ils agissaient sans compter. Par tous les temps, ils allaient. C’était la nuit le plus souvent. L’hiver il fallait chausser les skis. Le lendemain aller sans répit travailler aux champs ou débarder dans les bois, sans quoi ils auraient pu éveiller le soupçon des allemands qui occupaient le village.

Ils passèrent ainsi des documents qui transitaient par la Suisse avant d’être envoyés en Angleterre. Ils menèrent des hommes, des femmes, des petits enfants qu’ils portaient sur leurs épaules et tous ceux qui fuyaient pour une raison ou pour une autre sans qu’on sache jamais précisément laquelle. Sans rien demander ils faisaient passer.

Avaient-ils raison, avaient-ils tort ? Ils ne le savaient pas. Un jour un homme plus âgé lui dit : « avec vos conneries c’est tout le village que les boches vont brûler en représailles ».

Lui, le petit gars qui n’était pas allé longtemps à l’école, garçon de ferme à 14 ans, peut-être se trompait-il ? Était-il seulement en mesure de juger ce qui était juste et ce qui ne l’était pas ? D’autres plus instruits semblaient bien s’accommoder de la situation.

Il doutait. Peut-être était-il en effet ce voyou que d’aucuns voyaient en lui. Qui était-il ? Il savait au moins une chose : il n’était pas un vendu. Et puis, peu importe ce qu'il était, il ne voyait rien de mieux à faire, alors il continua jusqu’au jour où il fut découvert par la Gestapo puis déporté en camp de concentration.

Après la guerre, on se mit à le considérer autrement. La légion d’honneur et toutes sortes de médailles lui furent attribuées. Il ne rechigna pas à raconter son histoire à témoigner simplement, modestement pour ses copains et ceux qui n’étaient plus là.

Aujourd’hui beaucoup voient un héros dans ce monsieur très âgé. Quant à lui, il oscille entre l’agacement et l’amusement face à ce besoin humain d’idolâtrer, de ne pas laisser place au doute.

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