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PHILOSOPHER SUR LE DON DANS LES QUARTIERS



Ce jour-là, je philosophe dans les quartiers de Langres, c’est la médiathèque de la ville qui m’envoie. Je suis accompagnée de deux bénévoles, deux dames aux cheveux grisonnants comme moi. Après une petite déambulation dans la rue, au cours de laquelle nous croisons une vieille dame pleine de souffrance et de lamentation sur les affres de son grand âge, je propose que nous allions à la terrasse d’un café, vous savez l’un des ces cafés où l’on ne voit que des messieurs attablés, discutant entre eux tout en observant ce qui se passe dans la rue.

La rencontre entre les femmes que nous sommes et ces hommes a quelque chose d’assez incongru. Mais d’où viennent les préjugés qui font que nous jugeons cela incongru ? N’avons-nous pas en commun une humanité qui fait que nous vivons des expériences semblables et que nous nous posons les mêmes questions ?

Toujours est-il que nous sommes bien accueillies et que nous commençons un questionnement philosophique sur le don. Qu’est-ce que donner ? Peut-on donner sans rien attendre ? La plupart d’entre nous s’accorde à dire que oui en théorie, mais c’est très rare en pratique. Quand nous donnons, nous attendons au moins un petit merci, un petit geste, un petit signe de reconnaissance. Un des messieurs dit qu’il ne voit pas les choses comme ça, lui quand il donne c’est pour Dieu qu’il le fait. Mais alors cela veut dire que le don n’est pas gratuit, il y a l’attente d’une reconnaissance et peut-être même d’une récompense divine. Le patron propose alors de nous offrir un thé à la menthe, je le taquine : ce n’est pas à moi finalement que vous offrez ce thé, c’est à Dieu, moi, je compte pour rien dans cette affaire. Le patron me jette un regard sombre : vous me soupçonnez d’être un hypocrite alors ?

On pourrait le voir comme cela puisque vous avez l’air très généreux avec nous mais finalement ce n’est pas pour nous que vous le faites. Un autre homme propose alors une autre façon de voir le don et le rapport à Dieu. Pour lui, donner a bien quelque chose à voir avec Dieu, mais on donne non parce que Dieu va nous récompenser, mais simplement parce que c’est Dieu qui nous dit de donner, il nous donne un ordre, celui d’aller vers l’autre et de lui prêter attention, un ordre que nous acceptons, car c’est une douce obligation. Bien que je sois agnostique, je trouve belles et justes ces paroles. Je me souviens d’avoir croisé dans ma vie une personne qui donnait, elle n’était pas croyante mais je crois qu’elle voyait les choses ainsi, elle donnait sans se regarder, sans attendre en retour, parce qu’elle « était de service », c’était son expression. Cette personne venait d’un petit village de Franche-Comté et bien que son univers n’ait rien à voir avec celui des quartiers, sa façon de voir recoupait celle d’un jeune musulman. Je le constate au cours de mes pérégrinations philosophiques, pour le pire et pour le meilleur nous sommes tous faits de la même pâte humaine.

À la fin de cette discussion, nous sentons que quelque chose de vivant est passé entre nous, nos visages sont souriants, nous avons franchi grâce à la philosophie les barrières imaginaires (et néanmoins parfois très destructrices) qui séparent les humains.




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