RÉFLEXION ET AUTORITÉ, UN DÉFI ÉDUCATIF DANS LES QUARTIERS SENSIBLES
- Laurence Bouchet
- il y a 5 jours
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours
L’année scolaire s’achève. D’ici là, j’aurai animé une cinquantaine d’ateliers philosophiques dans des écoles très différentes : certaines situées au centre de Besançon, d’autres dans des quartiers dits « sensibles », ou encore dans de petites communes rurales. Cette diversité m’a permis d’observer comment l’environnement influence fortement la manière dont les enfants perçoivent la parole, l’autorité, et la pensée. Or, la philosophie permet justement de prendre de la distance avec nos conditionnements.

Dans certains quartiers, l’agitation est permanente. Les enfants semblent souvent peu disponibles pour la réflexion : ils bougent sans cesse, peinent à se concentrer plus de quelques minutes, multiplient provocations et tentatives d’attirer l’attention. À première vue, ils ne voient ni l’intérêt ni même la possibilité de penser par eux-mêmes. Ils n’accordent pas aux adultes — enseignants, intervenants, parfois même parents — ce pouvoir symbolique qui permet l’apprentissage et la transmission.
Derrière ces comportements, je vois une crise de la reconnaissance. Dans ces groupes, exister signifie être vu, entendu, redouté — ce qui n’est pas être respecté. Le besoin d’exister est si fort qu’il se tourne vers le groupe et ses leaders ceux qui imposent leur présence par la force ou le charisme. Ce sont eux que les autres cherchent à impressionner, non les adultes. Comme le souligne Hannah Arendt dans La Crise de la culture , « les enfants affranchis de l’autorité des adultes n’ont pas été libérés, mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de la majorité ». Dans ces contextes, l’enfant posé, celui qui réfléchit, est moqué. L’élève sérieux devient marginal. La reconnaissance est inversée : on valorise la transgression, pas l’effort.
C’est là que le rôle de l’adulte prend tout son sens. L’enseignant, comme tout référent éducatif, doit rompre avec ces formes de domination silencieuse qui étouffent l’épanouissement personnel et intellectuel. Par son autorité, l'adulte instaure un espace où chacun peut grandir, penser, se construire. Or, cette harmonie est aujourd’hui fragile, voire absente dans certains établissements.
Cela n’a rien à voir avec une quelconque incapacité des enfants à réfléchir. Bien au contraire. Dans ces mêmes quartiers, j’ai croisé des enfants capables de finesse, de profondeur, de lucidité — dès lors qu’on leur tend un miroir, qu’on les invite à regarder leurs actes, leurs mots, leurs pensées. Quand un adulte confronte fermement leurs comportements, sans crier, sans punir mécaniquement, mais en les amenant à réfléchir, alors les barrières tombent. Ils se taisent, se mettent à écoute d’eux-mêmes et des autres, ils proposent leurs idées. Parfois, ils changent.
Mais cela demande beaucoup de temps. Une patience que peu d’enseignants, pressurisés par les exigences institutionnelles, peuvent aujourd’hui se permettre. En tant qu’intervenante extérieure, j’ai la chance de pouvoir ralentir, questionner, laisser s’imposer le silence pour que les enfants trouvent leurs propres réponses. Alors le goût de la pensée se réveille, chez des élèves qu’on qualifie trop souvent de « difficiles », mais qui manquent surtout de structure, de reconnaissance positive d’adultes fermes et bienveillants.
Notre système scolaire a oscillé entre deux extrêmes : un autoritarisme rigide avant 1968, puis un laxisme qui se voulait bienveillant mais qui était en réalité impuissant face aux dynamiques sociales complexes. Pourtant, les enfants ont besoin de repères clairs, de règles stables pour pouvoir grandir. Une véritable autorité n’écrase pas : elle rend possible.
Dans ces classes de quartier les enfants ont besoin d'une autorité incarnée, ferme et juste, capable de libérer les enfants de la pression du groupe pour les introduire à un monde plus vaste — celui de la parole, de la pensée, du devenir.
Il serait dommageable de laisser croire que la philosophie, la réflexion, l’effort ne sont pas pour eux. Ils en sont capables — mais à condition qu’on prenne le temps de leur tendre l’échelle.
Et pour celles et ceux que le contenu détaillé de ces ateliers intéresse vous pouvez les lire ici avec les idées des enfants, mais aussi le travail d'attitude pour les aider à prendre du recul avec eux-mêmes et mes questionnements pour mon retour de pratique (n'hésitez pas à commenter) : CLIQUER ICI
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