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Atelier philo : POURQUOI FAISONS-NOUS SOUVENT LE CONTRAIRE DE CE QUE NOUS SAVONS DEVOIR FAIRE ?

  • Photo du rédacteur: Laurence Bouchet
    Laurence Bouchet
  • il y a 23 heures
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 14 minutes


Ce jour-là, j'ai ouvert l'atelier philo pour adultes par une mise en garde : participer à un tel espace, c'est accepter de se voir, parfois sous un jour inconfortable. Il ne s'agit pas seulement de discuter d'idées abstraites et théoriques, mais d'oser se confronter à soi-même, à ses contradictions, et à ce qu'un regard extérieur peut révéler.


Je pose donc un cadre exigeant pour les ateliers philo : ne pas se précipiter pour s'exprimer, réfléchir, lever la main avant de parler afin de prendre le temps de la réflexion, écouter les autres, renoncer à « son agenda » personnel, c'est-à-dire à l'envie irrépressible de ramener la discussion à soi. Ces règles ont pour but d'amener à une véritable posture philosophique : l'attention, la patience, la disponibilité.


Et hier, comme cela arrive parfois, dès les premières minutes, une tension est survenue avec une participante qui s'est sentie jugée parce que j'ai remarqué qu'elle n'avait pas appliqué la règle du jeu. De mon point de vue c'était intéressant de l'observer car cela révélait une certaine précipitation chez elle, précipitation dont elle n'était peut-être pas très consciente, mais qu'elle pouvait maintenant prendre le temps d'interroger. C'est dommage, elle n'a pas vu les choses ainsi. Elle a considéré qu'il s'agissait d'un jugement déplacé de ma part, rien d'autre. Elle a estimé donc que je portais un jugement moralisateur sur elle, ce qui était inacceptable à ses yeux. Elle a jugé mon jugement, en quelque sorte, et ma personne par la même occasion.


Il est vrai que j'observais et que je nommais ce que je voyais, mais il ne s'agissait pas pour autant de rabaisser ou de condamner. C’est pourtant l'interprétation qu'elle a retenue. Il est vrai qu'une opinion courante à notre époque refuse le jugement. On entend souvent qu'il ne faut pas juger.

La conséquence c'est que nous nous sentons trop souvent enfermés dans un jugement alors que ce n'est peut-être pas le souci de la personne qui nous observe. Il est possible aussi de choisir de nous sentir éclairés par cette observation car il n'est pas facile de s'observer soi-même et l'autre peut nous y aider grâce à son recul.


Ce moment est devenu un exemple vivant du sujet de l'atelier : pourquoi sommes-nous parfois en contradiction avec ce que nous savons être bon pour nous ? Pourquoi résistons-nous aux cadres que nous avons pourtant choisis ou acceptés ? Pourquoi disons-nous vouloir philosopher, tout en rejetant ce que cela implique ?

Cette question a résonné avec l'expérience de chacun. Les participants ont alors proposé des exemples courants d'incohérence entre ce que nous disons et ce que nous faisons : des militants anticapitalistes qui consomment les produits du capitalisme ; des hommes politiques ou syndicalistes prônant le féminisme tout en se rendant coupables de violences conjugales ; des parents prônant l'éducation sans écran mais qui finissent par allumer la télévision pour avoir la paix ; ou encore des écologistes convaincus qui prennent malgré tout leur voiture ou l'avion pour le confort.

Alors pourquoi ne sommes-nous pas en accord avec les valeurs que nous affichons ?

Face à ces contradictions, plusieurs hypothèses ont émergé :

1. La hiérarchisation des valeurs : Patrick a proposé l’idée que nous sommes souvent traversés par des valeurs concurrentes. On sait ce qu'on « devrait » faire, mais une autre priorité prend le dessus. Il ne s'agit pas forcément d'hypocrisie, mais d'arbitrages inconscients.

2. La recherche d'excuses : on se raconte des histoires pour justifier l'écart entre nos paroles et nos actes. Ces justifications nous évitent de ressentir la honte ou la culpabilité de l'incohérence. Nous ne sommes pas en accrod car nous voulons nous croire conformes à nos valeurs ce qui est valorisant, mais la réalité est parfois tout autre.

3. La frustration : être cohérent implique souvent de renoncer à un plaisir, un confort ou une habitude. Il s'agit de prendre sur soi. Cela demande une capacité de frustration que nous n'avons pas toujours.

4. La dissociation entre pensée et action : Cyril, un des participants, a proposé que la pensée et l'action sont deux sphères distinctes, régies par des logiques différentes. Penser, c'est se rêver ; agir, c'est être confronté au réel. On peut avoir des idéaux très élevés mais céder dans l'action, par fatigue ou faiblesse.

5. Le poids du groupe : le regard des autres influence fortement nos choix. Il est parfois plus difficile d'assumer ses valeurs face à un groupe qui ne les partage pas, d'où des compromis, voire des renoncements.

6. Le manque d'humilité : Ghislaine a proposé que reconnaître qu'on agit mal ou qu'on n'est pas à la hauteur de ce qu'on dit, c'est se heurter à une image idéalisée de soi. Cela demande de la lucidité, mais aussi une certaine bienveillance envers soi-même, sans quoi la honte nous paralyse.


Le rôle essentiel de l'autre : Dominique a ajouté que seul, il est difficile de se voir avec justesse. C'est souvent par le retour de l'autre – bienveillant ou dérangeant – qu'on accède à une forme de vérité sur soi. L'atelier devient alors ce miroir collectif, parfois inconfortable, mais salutaire.


Une distinction importante a été apportée dans la discussion : il y a des incohérences ordinaires,

compréhensibles et humaines, et d'autres plus problématiques, presque toxiques. Les premières relèvent de nos limites naturelles, de nos faiblesses quotidiennes. Les secondes touchent à des valeurs morales fondamentales et révèlent souvent un processus de déni.

Plus une personne tient un discours moralisateur, plus on peut suspecter un besoin de masquer une part sombre d'elle-même. Ce phénomène de « projection » consiste à attribuer aux autres ce qu'on refuse de voir en soi. Simone Weil, dans ses Réflexions sur la condition humaine, identifiait dans cette projection l'une des sources principales de la méchanceté. "L'acte méchant est un transfert sur autrui de la dégradation qu'on porte en soi."


L'atelier s'est conclu sur l'idée que viser la cohérence est une tâche infinie. On n'y parvient jamais totalement, mais c'est un effort qui mérite d'être tenté. Il ne s'agit pas de devenir parfait, mais de cultiver une lucidité honnête : reconnaître ses écarts, les comprendre, les interroger. Cette lucidité passe par l'acceptation de nos contradictions, la patience envers nos limites, et l'ouverture au regard bienveillant des autres qui peuvent nous aider à nous voir plus justement. Car c'est dans cette confrontation apaisée -et pourquoi pas amusée- avec la vérité sur nous-mêmes que se trouve le début d'une cohérence plus authentique.

 
 
 

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