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ATELIER PHILO À TUNIS : DES ESPACES DE DIALOGUE DANS UN MONDE SATURÉ



Si on la considère sur divers plans, l’espèce humaine semble folle et décourageante. Sur le plan politique et économique, elle déraille souvent. J’ai regardé hier une vidéo montrant l’ancien palais de Ben Ali. Une telle accumulation de richesse m’a semblé délirante. Dormir dans un lit en argent massif ou se brosser les dents dans un lavabo en or, qu’est-ce que cela apporte à un être humain ? Quel vide intérieur a-t-il besoin de combler par de tels débordements extérieurs ? On éprouve parfois de l’admiration, de l’envie voire de la haine face à un tel besoin d’accumulation, ne devrait-on pas éprouver plutôt de la pitié ? Est-ce le pouvoir qui rend fou ou bien laissons-nous le pouvoir à des fous souffrant d’un manque pathologique de reconnaissance ? Ben Ali n’est pas le seul à avoir atteint ces degrés de folie. Pourquoi les humains que nous sommes éprouvent-ils un tel besoin d’accumuler de la gloire, des richesses, des biens, de la nourriture et même du savoir ? Bien sûr, certaines accumulations sont plus néfastes que d’autres. Mais dans tous les cas l’espace est saturé, il n’y a plus de place pour autrui. Cette propension à remplir hors de toute raison semble humaine, maladivement humaine, les écureuils même s’ils font leurs provisions, ne connaissent pas de tels excès… Lors d’un atelier de pratique philosophique nous apprenons entre autres à faire le vide, ce qui suppose aussi de ralentir et d’accepter une certaine frustration. C’est ce que nous avons tenté lors de ces quatre journées de séminaire. Faire le vide, apprendre à se taire extérieurement et intérieurement. Inviter l’autre aussi à se taire, ce qui n’est pas facile car il peut mal le prendre. Le pousser à raccourcir son propos non pas pour parler à sa place, mais afin d’entendre vraiment ce qu’il dit et que parfois il ne prend pas lui-même le temps d’écouter. Dialoguer, c’est-à-dire écouter l’autre, ne pas se contenter de rebondir comme cela se produit souvent dans une succession de monologues. Dialoguer, c’est-à-dire aussi prendre le temps d’observer ce qui fait obstacle au dialogue : nos emportements, notre volonté d’imposer les idées auxquelles nous tenons comme s’il en allait de notre existence, notre impatience, notre entêtement ou encore notre manque d’attention. Et puis, lorsque nous parvenons enfin à lever au moins partiellement ces obstacles, faire l’expérience de la joie de penser ensemble. Dans la lenteur active des échanges une idée survient on ne sait pas trop comment, mais elle procure à tous une joie intense, c'est un pan de vérité qui éclaire et agrandit nos perspectives. Un plaisir subtil de l'âme qui se mérite et que le dictateur enfermés dans son palais ou chacun de nous enfermé en lui-même, ne peut pas connaître. Un plaisir qu’il pourrait trouver hors des murs en allant dialoguer, dialoguer vraiment. Merci à Youldez Attya, Khaoula Laribi, Ali Romdhane et à l'association ACDR (association citoyenne pour une démocratie réelle) d'avoir rendu possibles ces échanges et merci à toutes les personnes qui sont venues proposer leurs idées lors de ce séminaire.



ÊTRE AUTHENTIQUE EST-CE PRENDRE DE LA DISTANCE AVEC SA SINCÉRITÉ ?


Lors d’un atelier philo, la pensée se met en mouvement. Les échanges entre les participants, lorsqu’ils sont structurés, produisent une intelligence collective et des idées émergent du groupe, elle n’apparaitraient pas si chaque personne pensait seule dans son coin.

Je tente de retracer un dialogue qui a eu lieu à Tunis même si avec l’écrit se perd le sel de la pensée vivante.

Être authentique est-ce prendre de la distance avec sa sincérité ? Demande Leïla ?

Cette question fait réagir le groupe. Elle paraît surprenante car généralement nous considérons ces deux termes comme synonymes.

À cette question Sylvie répond par l’affirmative. Elle propose l’hypothèse que lorsque nous sommes sincères nous sommes souvent malhonnête car généralement nous ne questionnons pas l’émotion que nous ressentons. Elle s’impose comme une évidence.

Youldez est d’accord elle donne un exemple : nous pouvons sincèrement nous laisser envahir par notre colère, cette dernière nous semble juste, parfaitement juste à tel point que nous n’en questionnons ni la cause (est-elle bien légitime ?) ni les conséquences nous ne voyons pas ce que cette colère provoque chez les autres (sentiment d’agression, agacement, difficulté à rester posé).

Quand nous sommes sincères, nous sommes dans l’émotion, sans distance avec nous-mêmes, nous disons ce que nous pensons mais nous n’avons pas pris le temps d’examiner ce que nous pensons. Être authentique, ce serait donc prendre de la distance avec ce que nous ressentons sincèrement.

Khaoula propose alors que nous aurions deux "moi", l’un spontané, réactif et sincère et un autre plus profond et plus authentique qui prend le temps d’examiner ce qui se passe plus profondément en nous-mêmes.

Michel ajoute alors qu’il existerait une sincérité plus profonde celle qui marche avec l’authenticité, celle que nous exprimons sans détour lorsque nous avons pris le temps de l’examen intérieur.

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