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Hannah Arendt, liberté, autorité. Retour sur le stage de février 24

1. SE QUESTIONNER AVEC HANNAH ARENDT. LA LIBERTÉ

Pendant deux intenses journées, les participantes et les participants à ce stage ont découvert les principaux concepts de cette philosophe : le travail, l'œuvre, l’action, la politique, la banalité du mal, le totalitarisme, la liberté, la naissance, l’autorité.

La philosophe donne encore aujourd'hui à penser et à questionner. Peut-on sortir d’une logique où le processus de production et de consommation envahit nos existences ? Oui, mais il faudrait carrément changer de paradigme. Comment faire ? Cela semble difficile car les actions individuelles ne se traduisent pas dans des décisions politiques.

Au moins, le temps de ces deux jours nous sommes sorti.e.s de ce mouvement frénétique consommation/production pour questionner, réfléchir, parler, s’écouter et chercher ensemble. Hannah Arendt développe le concept de liberté de façon originale. Être libre selon elle, ce n'est pas pouvoir faire ce que l’on veut ou contrôler ce qui arrive, mais nous sommes libres, dit-elle, quand nous avons la capacité d’initier de la nouveauté dans l’espace commun. La liberté n’existe qu’en s’expérimentant au milieu des autres, lorsque tous et toutes ont un égal accès à la parole. Cette parole peut être entendue par tous, même si on ne peut jamais savoir à l’avance ce qu’elle deviendra, ni ce que les autres en feront. Si nous le savions ce serait la négation de la liberté, il s’agit donc de vivre en acceptant la fragilité des affaires humaines.

(Je précise que viennent à ces stages des personnes de tous milieux, certaines n'ont pas leur bac tandis que d'autres ont fait des études avancées.)






2. RÉFLÉCHIR SUR L’AUTORITÉ ET L'ÉDUCATION

Nous avons réfléchi au concept d’autorité. Nous avons remarqué que ce terme n’a pas très bonne presse (quand on dit qu’une personne est autoritaire, ce n’est pas un compliment).

Pourtant Hannah Arendt, dans la « Crise de la culture », souligne l’importance de l’autorité de l’adulte dans la construction de l’enfant. En effet si l’adulte n’exerce pas son autorité alors l’enfant subira la tyrannie du groupe à laquelle il n’a pas les moyens de résister. Il est en effet trop jeune pour comprendre ce qui se produit, et il ne maitrise pas suffisamment la parole pour se défendre. Et en effet, lorsque l’autorité de l’adulte fait défaut, on voit se produire des phénomènes de harcèlement.

L’adulte est donc responsable de transmettre à l’enfant les moyens de vivre et de se construire dans un monde qui l’a précédé tout en lui offrant la possibilité de créer et d’initier quelque chose de nouveau.



3. EN LIEN AVEC LE CONCEPT DE BANALITÉ DU MAL, UNE RÉFLEXION SUR LE FILM "LA ZONE D'INTÉRÊT" DE JONATHAN


VOULONS-NOUS REGARDER NOTRE « ZONE D’INTÉRÊT » OU REGARDER EN NOUS-MÊMES ? QU’EST-CE QU’ÊTRE SENSIBLE ?

On ne peut pas dire que le film « Zone d’intérêt » de Jonathan Glazer soit agréable à regarder. Même s’il ne nous montre rien d’affreux, aucune violence sur les images, au contraire, un joli paysage de rivière et des fleurs, il se dégage une atmosphère oppressante. La bande son et la façon de filmer qui nous permet de comprendre les personnages - Höss le directeur du camp d'Auschwitz et sa femme - voire de nous identifier à eux dans leur quotidien sans pourtant ressentir la moindre empathie, contribuent à provoquer ce malaise.

Voilà qui questionne : comment est-il possible de mener sa petite vie tranquille sans se préoccuper des horreurs qui se produisent derrière le mur ? À quoi sommes-nous sensibles ? Qu’est-ce qu’être sensible ?

Il nous questionne aussi sur le sens que nous donnons à nos vies. La vie, est-ce se draper dans un manteau de fourrure ? Est-ce tenir à sa maison plus que tout et à la réussite sociale qui va avec ? Est-ce avoir une jolie maison mais n'avoir visiblement aucun amour pour ses proches ou quelque chose de très superficiel (le couple ne manifeste pas d'amour, les relations sexuelles avec d'autres partenaires semblent purement hygiéniques) ? Leur relation n'est fondée que sur une ambition sociale partagée : il faut que Höss soit et qu'il reste directeur du camp. Il faut que la mère d’Hedwig Höss soit impressionnée par leur réussite et leur petite piscine.

Höss, est un être humain dont l'humanité (au sens d'une compassion profonde) s'est retirée. Il n'éprouve que de jolies et très arrangeantes compassions et une sensibilité sélective (pour les lilas dont ses subordonnés ne prennent pas soin, pour son cheval qu’il va quitter). Il a quelque chose de ridicule de risible au sens où Hannah Arendt ne pouvait s’empêcher de rire devant Eichmann, personnage également médiocre. Elle disait qu’il était un clown, elle ne pouvait pas le prendre au sérieux, tant son personnage était grotesque. Cela apparaissait au grand jour pendant son procès, mais combien par manque d’une profonde sensibilité l’ont pris au sérieux et ont obéî à ses ordres plutôt que de lui rire au nez ?

Il existe une forme de sensibilité très complaisante que dénonce ici Jonathan Glazer, celle sur laquelle il n'a justement pas voulu s'appuyer pour son film. Une sensibilité manipulatrice, car elle nous fait pleurer des larmes trop faciles, celles qui nous font sentir du bon côté. Une sensibilité qui nous borne à nous-mêmes, à notre « zone d’intérêt », à notre jardin, à notre piscine, parfois même à notre famille et nos enfants et contre laquelle Glazer nous met en garde.

L’artiste appelle en nous une sensibilité beaucoup plus profonde, celle qui s'accompagne de réflexion, celle qui ne nous conduit pas à nous voiler la face, celle qui nous fait prendre du recul avec nous-même et c’est difficile. Car nous avons tous une propension à ne regarder que les jolies fleurs et les beaux jardins pour ne pas regarder ailleurs ce qui nous dérange. Nous ne voulons regarder qu’un aspect de la réalité sans la voir dans son ensemble.

Or si l'on possède une profonde sensibilité ou plutôt si on la travaille, alors on accepte aussi de regarder le monde au-delà de sa piscine, on accepte de voir plus grand.

En ne nous montrant pas ce qui se passe à l'intérieur du camp, Glazer nous force à regarder en nous-mêmes, c'est tout sauf agréable et complaisant.

Nous pouvons-nous demander : "et toi à quel petit bonheur factice t'accroches-tu pour ne pas regarder au delà ? Quand détournes-tu les yeux ? Quand t'enfermes-tu dans ta vie ? Quand cesses-tu de vouloir te dépasser ? À quoi es-tu vraiment sensible ?"

Cela ne veut pas dire que nous sommes tous des monstres, mais que si nous ne regardons pas ce que nous ne voulons pas voir, si nous bornons notre horizon, nous pouvons tout à fait le devenir.



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