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AU MAROC OU EN FRANCE, L'UNIVERSITÉ APPREND ELLE À PENSER ? Voyage Philomobile jour 30.

Ce Jour-là je vais animer un atelier de pratique philosophique avec des étudiants de philosophie à l’université d’El Jadida. Je rencontre des collègues qui y enseignent puis j’arrive dans une grande salle où je retrouve une quarantaine d’étudiants. Mon ami Moulim El Aroussi qui fut professeur de philosophie, intellectuel engagé et qui lui aussi pratique le questionnement, propose de faire la traduction en Arabe. La traduction constitue un exercice intéressant, car cela oblige à être clair, à ralentir et pour penser il faut parvenir à établir un certain rythme, une forme de lenteur active.

Dans un premier temps, je présente la théorie de la pratique philosophique avec d’un côté le travail sur des compétences qui s’appuie sur la rigueur, la logique, la cohérence de l’argumentation et de l’autre l’attention portée aux attitudes. Sur point la pratique philosophique est en lien avec les philosophies existentialistes qu'elle invite à mettre en pratique : choisir, s’engager, assumer, éviter autant que faire se peut, le confort délétère de la mauvaise foi.

Rapidement je passe donc à la pratique et là les choses se compliquent. Je propose qu’on s’accorde sur une question sur laquelle nous pourrons construire une réflexion.

Une telle consigne qui paraît très simple est en réalité très complexe surtout pour des étudiants de philosophie. Ils sont habitués à écouter des discours compliqués, abscons parfois et ils m’imaginent pas qu’on leur demande une chose simple. Cela n’est pas propre aux étudiants marocains, j’ai remarqué en France que les personnes qui ont fait ou font des études de philosophie sont parfois incompréhensibles, elles sont incapables de dire les choses simplement. Peut-être pensent-elles que leur discours embrouillé leur donne un air intelligent.

Au bout d’un certain temps nous finissons par nous accorder sur une question simple : pourquoi philosophe-t-on ? Il s’agit maintenant de proposer modestement des hypothèses de réponse que nous soumettrons ensuite à la critique. Mais là encore, les réponses sont difficiles à obtenir, les étudiants citent des auteurs, mais ne répondent pas. Ils cherchent à répéter ce qu’ils ont appris, même si cela est sans lien avec la question posée. Ils se cachent derrière leurs connaissances. Ne se sentent-ils pas capables de penser par eux-mêmes ? D’oser faire ce que disait Kant plutôt que de répéter ce qu’il disait sans le faire.

Au bout d’un moment nous parvenons tout de même à poser un intéressant problème : la philosophie permet-elle de donner un sens à l’existence qui n’en n’aurait pas a priori ou bien au contraire a-t-elle pour fonction de déranger ? Philosophons-nous pour nous rassurer ou pour nous inquiéter ?

Dans la salle quelques étudiants se positionnent. Mais la plupart n’osent pas se manifester. Alors j’interpelle un jeune homme qui n’a rien dit et qui semble ailleurs depuis le début de la séance. Que pense-t-il ? Il parait ennuyé que je m’adresse ainsi à lui. Je suis venue le déranger alors qu’il attendait tranquillement que le temps passe. Alors je le taquine un peu, « je n’ai tout de même pas fait tous ces kilomètres en Philomobile pour rencontrer un jeune homme qui attend que le temps passe ! ». Il sourit et semble un peu gêné, mais le voilà qui commence à s’impliquer. Il dit ne pas être d’accord avec une jeune fille, mais il n’a pas d’argument, je lui demande si par hasard il n’est pas un peu têtu, il reconnait que oui en riant. (là il y a une différence avec ce qui se passe en France. Au Maroc les participants rient, en France en général dans cette situation ils se mettent sur la défensive, ils se fâchent, agressent ou se renfrognent). Est-ce que je l’ai dérangé ? Oui Est-ce qu’il a philosophé ? Il a commencé à s’impliquer et c’est un début. La philosophie exige un équilibre complexe : tant que nous restons à distance sans nous engager nous ne pouvons pas penser par nous-mêmes, mais quand nous nous engageons sans distance nous sommes aveuglés et nous ne pouvons pas penser. Alors s’engager tout en gardant une forme de recul, passer des affects à l’observation de ses affects, vivre la singularité de son existence tout en saisissant ce qu’elle a de commun, voilà l’exercice auquel invite la pratique philosophique.

(Bientôt j'irai faire un peu de pratique philosophique à l'université de Besançon, je ne manquerai pas de proposer aussi une petite analyse.)

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